LA BABICHE? LA DAME DE TRESSE

DÉPASSÉE LA BABICHE? VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU!

Entrevue avec Joëlle Beaulieu, la dame de tresse.

Qui ne connait pas cet art ancestrale qui consiste à tisser des lanières de cuir en  alvéoles régulières? C’est la base des raquettes qu’utilisaient les amérindiens, des chaises de l’ancien temps et de mille et un objets qui ont rendu la vie des autres siècles plus confortable. C’est aussi le métier que pratique Joëlle Beaulieu, la dame de tresse.

L’atelier se rejoint par un long escalier qui donne sur un espace large et lumineux niché dans un endroit qui n’a pas son pareil car la vue donne directement sur Sainte-Adèle à partir du mont Rolland.  L’atelier se trouve au-dessus du musée Zénon Alary.

C’est dans cette ambiance de paix et de fraicheur que l’artisane me reçoit. Tandis que se poursuit l’entrevue, ses mains s’activent sur son travail: Une chaise dont elle refait l’assise. Joëlle ne travaille que sur des matériaux naturels et elle pratique la pointe de diamant et plusieurs autres techniques.

– Que faut-il pour bien tresser?

– Patience, curiosité, observation. Je n’ai jamais pris de cours mais j’ai commencé à l’usine ‘’ la maison Kalanik ‘’  de Mont-Rolland. Pendant trois ans j’ai tressé de la babiche, des pointes de diamant et le damier en foin de mer. J’aimais beaucoup mon travail, je suis une fille de production.

Issue d’une famille nombreuse de Québec, son père décède quand elle n’a que cinq ans. Sa mère se remarie avec un militaire qui les emmène vivre sur une base en Allemagne. La jeune Joëlle, adolescence, suit la famille mais son intérêt n’ira jamais vers les études avancées. Elle travaillera très jeune à l’épicerie de la base militaire. ‘’ Nous vendions des produits allemands, canadiens et américains. ‘’

Avec ses économies elle voyage avec un jeune homme, lui aussi fils d’un militaire canadien.

‘’ À mon retour au Québec, lors d’une visite chez ma soeur, je suis tombée en amour avec les Laurentides. Cette belle forêt noire et ces montagnes vertigineuses me rappelaient l’Allemagne et j’ai su que c’est ici que je voulais fonder ma famille. ‘’

Elle se marie à Mont-Rolland et, à partir de ce moment, pour Joëlle, s’installe une sorte de parcours du combattant qui semble ne jamais vouloir finir. Elle fait du ménage à l’hôtel Chantecler de Saint-Adèle et, après cinq ans, s’ajoute le ménage de l’usine où son mari travaille.

Il s’agit d’une fabrique de meubles d’apparence antique et Joëlle a drôlement envie d’y entrer à temps plein. Elle n’est pas invitée à rejoindre les 7-8 employés, même lorsque l’entreprise grossit et va se bâtir près de la rivière.

Le mari de Joëlle suggère un jour de faire le tressage à l’usine car il est difficile de peindre les chaises déjà tressées que l’entreprise achète chez un grossiste pour accompagner les buffets et les tables qu’ils construisent. Kalanik fournit de la reproduction d’antiquités pour une trentaine de magasins aux États-Unis.

Un maître en tressage est engagé, la femme de ménage reste à son poste ainsi qu’au Chantecler à temps plein. Elle est là, Joëlle la timide. Elle continue à dire ‘’ Ne m’oubliez pas, moi ça m’intéresse ‘’. On embauche quelqu’un d’autre, une dame sans expérience et Joëlle perd patience: Elle quittera lorsqu’ils auront trouvé quelqu’un d’autre pour le ménage.

Trois ans plus tard, la personne embauché doit être opérée et on appelle Joëlle à la rescousse. Elle apprend sur le tas en moins de deux et depuis ce jour, elle peut se livrer à une activité qui lui plait vraiment.

‘’ On utilisait le foin de mer pour les pointes de diamant, comme c’est plus souple que la corde de papier, ça se faisait plus rapidement. Je pouvait faire une assise de chaise en 35 minutes. À 12 dollars pièce, le salaire était intéressant.

Pour éviter un transfert à Laval, j’offre de faire de la sous-traitance à partir de chez moi. Cela fonctionne pendant un an jusqu’à ce que les tours du World Trade Center s’écroulent et que les américains ralentissent leurs commandes. j’ai travaillé dix ans à mon compte. En visitant les boutiques d’antiquaires entre Tremblant et Montréal, j’ai beaucoup appris et mes services ont pu être connus. Seulement, dans mon sous-sol, souvent seule, ne sortant la tête que pour m’occuper de ma famille augmentée de deux adolescents, je suis tombée en profonde dépression. Grâce à l’aide de mon mari, j’ai quand même mis en ligne un site web pour vendre mes services en tressage et c’est comme ça que quatre étudiants en design de Montréal m’ont proposé de prendre part à leur projet.

Il s’agit de plusieurs tressages sur des meubles qu’ils ont imaginés pour représenter le Québec dans une exposition à Milan. Ils voulaient allier le moderne et le traditionnel et il m’ont même fait travailler le nylon. Du jour au lendemain, fini la dépression. Je flotte sur mon nuage et je sais que je devrais trouver un local plus grand que ma petite maison pour travailler sur ces 40 morceaux. Le local au dessus du musée Zénon Alary m’intéresse mais toutes les places sont prises. Je continuerai à chercher et à tourner en rond quand, finalement, ils m’annoncent qu’ils peuvent me faire un peu de place. Les meubles sont agrémentés de coussins en peau de castor et le Québec a été admirablement représenté en Italie. Un hôtel luxueux italien a fait l’acquisition d’une quarantaine de meubles qui trônent fièrement au coeur de cette capitale de la mode et du design.’’

J’ai adoré l’expérience de tresser une soixantaines de bancs de canot pour l’entreprise Nor-West à Prévost et à travailler pour le village de Séraphin et le parc Oméga dans l’Outaouais.

‘’À mon compte, c’est une autre histoire. Même si je ne fournis pas à la demande, mon revenu à quand même baissé car, outre le coût des matériaux et le temps que je passe à faire tourner mon entreprise, il y le temps que je passe à chercher à tout faire tout à la perfection. ‘’

Il est vrai que le travail de cette artisane est remarquable. Pas de bâclage pour Joëlle Beaulieu.

‘’ Mais une autre richesse m’a trouvé, continue t-elle, les gens qui viennent me voir, qui m’amènent leurs meubles, c’est un bonheur de les rencontrer. Nous parlons, parfois un peu longuement, grâce à la confiance qu’ils me portent, ils m’emmènent à me dépasser. Et puis il y a les meubles. Beaucoup de chaises viennent d’Europe et ont servi à ces familles d’immigrants qui se sont installées ici et qui font maintenant partie de la richesse du patrimoine du pays.’’

Joëlle pratique la babiche, le rotin, le jonc canné et son foin de mer vient de la baie de Hongkong. Elle aime tresser de la corde en papier recyclé, c’est très joli. Il s’agit de trois brin tournés. Le rotin vient de branches d’arbrisseaux mais Joëlle ne cueille pas ses matériaux. La durée de vie d’un tressage peut aller jusqu’à trente ans en corde et ils restent plus beaux quand une couche de verni à l’eau à été appliquée. Les petites chaise peuvent coûter 65$ à refaire sinon les scandinaves, avec le système de petits clous en L peuvent aller jusqu’à 95 $.

‘’ Souvent, j’ai donné moi-même des noms aux motifs sinon je ne connais que les noms en anglais puisque mon apprentissage vient de livres dans cette langue. Quand je vois une nouvelle technique, je rentre à mon atelier et tout ce que je veux c’est essayer de la maîtriser. Mon mari Daniel est aussi artisant et ses créations peuvent être vues dans plusieurs expositions de la province. Nous avons monté un panneau avec les différents tressages pour que mon travail puisse être vu. ‘’

Depuis peu, une jeune retraitée, stagiaire, apprend les rudiments du métier avec Joëlle. Elle apprécie le travaille manuel et la dame de tresse profite de son expertise d’entrepreneuriat. ‘’ C’est un plaisir de travailler avec elle car je considère que j’ai besoin d’aide pour dynamiser l’entreprise. ‘’

Mentionnons que l’atelier de Joëlle et le musée habitent ce qui était autrefois la petite école du village de Mont-Rolland et qui fut, par la suite, l’hôtel de ville.

‘’ Le bonheur, c’est la qualité d’une vie. Naturellement, je me suis offerte à faire du bénévolat en bas. Je m’occupe de la location de la salle communautaire où se donnent des cours de danse, de peinture, yoga et méditation. Ça me fait plaisir de collaborer avec eux. ‘’

Voilà, je quitte l’atelier de Joëlle où une toute jeune femme, malgré son long parcours, a trouvé le bonheur et travaille fort pour semer la beauté de son artisanat traditionnel, dont le Québec peut s’enorgueillir, à la vue et au service des gens.

Laurence Vialle

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